Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/124

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le sort, comme actuellement (premier nom sorti de l’urne) mais, dans la salle de délibérations, par un vote — comme il advient parfois. Et je crois que ce serait là une réforme très heureuse. Car j’ai vu, dans certains cas, tel chef de jury contribuer par ses indécisions, ses incompréhensions, ses lenteurs, au désordre qu’un bon chef de jury pourrait au contraire empêcher. (Il est vrai d’ajouter que le plus incapable était aussi bien celui qui était le plus fier de sa place et le moins disposé à la céder).

Ce n’est pas que pour être un bon juré une grande instruction soit nécessaire, et je sais certains “ paysans ” dont les jugements (un peu butés parfois) sont plus sains que ceux de nombre d’intellectuels ; mais je m’étonne néanmoins que les gens complètement deshabitués de tout travail de tête, soient capables de prêter l’attention soutenue qu’on réclame ici d’eux, des heures durant. L’un d’eux ne me cachait pas sa fatigue ; il se fît récuser aux dernières séances ; “ sûrement je serais devenu fou ”, disait-il. C’était un des meilleurs.

Aussi bien je crois que l’opinion du juré se forme et s’arrête assez vite. Il est, au bout de deux ou trois quarts d’heure, sursaturé — ou de doute, ou de conviction. (Je parle du juré de province).

En général, ici comme ailleurs, la violence des convictions est en raison de l’inculture et de l’inaptitude à la critique.

Si donc on est en humeur de réforme, il me semble que la première réforme devrait porter sur la formation