Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/34

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répète aussitôt après à voix haute, pour l’édification des jurés. Nous voyons de dos la petite ; elle tremble ; et cette fois ce n’est plus le rire mais le sanglot qui la secoue. Elle sort un mouchoir de la poche de son tablier.

Cet interrogatoire est atroce ; moi aussi je sors mon mouchoir ; je n’en peux plus… Et quelle inutile insistance pour savoir ce que l’autre lui a fait ; puisqu’on le sait déjà, par le menu. La petite du reste ne peut pas répondre, ou que par monosyllabes :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La voix de l’enfant est si faible que le Président, pour l’entendre, se penche et met contre son oreille sa main en cornet. Puis se redresse et tourné vers le jury :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’avocat de cette triste cause a négligé de convoquer à temps les témoins à décharge. En vertu du pouvoir discrétionnaire du Président on entend néanmoins Madame X. une pauvre marchande-des-quatre-saisons qui a comme adopté ce malheureux être, parce que, dit-elle, “ sa sœur a eu un enfant de mon fils ”.

Madame X. a le teint violacé, le cou large comme une cuisse ; un chapeau cabriolet à brides sur des cheveux tirés et lustrés ; le tour des oreilles est dégarni ; une barre noire en travers du front ; sa main gauche en écharpe est enroulée de chiffons. Elle pleure. D’une voix pathétique elle supplie qu’on soit indulgent pour ce pauvre garçon