Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/51

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Le Président. — Votre patronne, durant le temps de votre grossesse, ne se doutait de rien ?

L’accusée. — On voyait bien que je grossissais, mais ma patronne ne voulait pas le dire. Elle ne m’en a pas parlé du tout.

Puis, à voix plus basse et un peu confusément, tout à coup :

— C’est l’fils du patron qui me l’a fait.

Le Président. — Vous n’avez pas dit cela d’abord. — Puis se tournant vers le jury : — A l’instruction elle s’est obstinément refusée à dire qui était le père de l’enfant.

La fille Rachel continuant sans écouter le Président :

— Il m’a conseillé de l’faire disparaître pour qu’on ne sache pas que c’était de lui.

Le Président. — Le faire disparaître comment ?

— En l’mettant dans la terre.

Cela est dit sans intonation aucune ; la pauvre fille paraît à peu près stupide.

Le Président. — Comme l’accusée n’a rien dit de tout cela à l’instruction, on n’a pu appeler en témoignage celui dont elle parle à présent. — A l’accusée : Vous pouvez vous asseoir.

A ce moment l’avocat défenseur se lève :

— Il est fâcheux que l’accusée ne nous ait pas parlé ici, ainsi qu’elle l’avait fait à l’instruction, des lectures du soir qu’on faisait, dans la ferme, en famille. On lisait les faits divers des journaux et les vieux parents qui faisaient la lecture s’appesantissaient de préférence, disait-elle, sur les infanticides.