Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de celle des maîtres. Sitôt étendue sur sa paillasse, elle accoucha d’une petite fille.

Elle avait “ peur d’être grondée ”, et comme la petite criait, par crainte que les patrons n’entendissent, Bertha mit la main sur la bouche de la petite et l’y maintint jusqu’à ce que les cris aient cessé. Quand Bertha vit que l’enfant ne respirait plus, elle prit une paire de ciseaux dans sa jupe et en porta un petit coup à la gorge de l’enfant.

Il ressort de l’instruction qu’elle n’a donné le coup de ciseaux qu’après que la petite était déjà morte étouffée. Le ministère public cherchera à établir que c’est pour constater que le sang avait cessé de couler. Je crois à plus d’inconscience. Le Président presse Bertha de questions, mais le rôle des ciseaux reste aussi peu clair.

Quand Bertha Rachel se fut assurée que son enfant avait cessé de vivre, elle cacha le petit cadavre provisoirement dans son seau de toilette, jeta le placenta par sa fenêtre qui donnait précisément sur la fumière, puis tout aussitôt redescendit pour reprendre son travail.

Le lendemain, avec un louchet elle creusa un trou derrière la grange, au bord du fossé ; un petit trou, car elle était sans forces ; où elle enterra l’enfant.

La gendarmerie fut avertie peu de jours après par une lettre anonyme ; et le cadavre de l’enfant fut retrouvé. Le Président ne croit pas devoir insister sur cette lettre anonyme, sur laquelle aucun renseignement n’est donné ; et comme je ne suis pas du jury pour cette affaire, aucune question n’est posée à ce sujet ; et l’on passe outre.