Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/80

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également une lanière. N’avez-vous pas parlé alors d’une volonté de suicide ?

— Je n’ai jamais parlé de ça.

— N’importe. En définitive vous reconnaissez tous les faits ; et vous donnez de votre crime cette explication : que Juliette vous refusait ses avantages.

— J’ai vu passer devant moi quelque chose de terrible, ce matin-là.

— Enfin… elle est morte, la pauvre fille ! Si elle ne voulait plus de vous, vous n’aviez qu’à retourner auprès de votre femme et de vos enfants. Pourquoi la tuer ?

— Je ne cherchais pas à la tuer. (Rumeur d’indignation dans l’auditoire.)

— Allons donc ! Avec cent coups de couteau !

La majorité des jurés pense avec le Président qu’on cherche plus à tuer quand on donne cent coups de couteau que lorsqu’on en donne un seul. Pourtant l’examen médical de la victime nous apprend que ces cent-dix blessures dont on a pu relever la trace sur la face, sur le cou, à la région supérieure du thorax, sur les mains, (sur le cou les plus nombreuses), étaient régulières pour la plupart, et, toutes, petites et peu pénétrantes. (En Russie on eût vu là sans doute un “ crime rituel ”.) Une seule blessure avait atteint la carotide et déterminé une hémorragie foudroyante.

N’étant pas du jury, je ne puis demander si, peut-être, il dépendait de la forme et de la dimension de l’arme qu’aucune des blessures ne fût profonde. Mais il ne paraît