Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/81

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pas ; et le docteur dira tout à l’heure que Charles avait frappé “ d’une façon tremblante, ne faisant pas entrer son arme et comme s’il voulait seulement mutiler ”.

Les doigts étaient tailladés ; la victime avait dû essayer de se protéger.

Madame Augustine, veuve Gilet, logeuse, appelée à témoigner, dépose d’une voix monotone :

— Charles et la fille Juliette demeuraient chez moi. Je n’avais pas à me plaindre d’eux. Le 13 mars au matin, j’entendis des cris ; j’entrai chez eux ; elle était à terre et je le vis qui la frappait. Je lui saisis le bras pour le retenir. Il se retourna et me dit : “ Retirez-vous. ” Juliette n’était pas morte ; quand elle me vit chercher à le retenir, elle me dit : “ Ah ! faites attention, il a un couteau ! ” Alors il la frappa encore une fois ; il retourna le couteau dans la plaie ; ça a fait : crrac ! (Mouvement d’horreur et rumeurs dans la foule ; les jurés eux mêmes sont très impressionnés par le récit de Madame Gilet, et particulièrement par ce dernier détail. Pourtant, sur une demande de l’avocat défenseur, le docteur X. nous dira tout à l’heure : “ Aucune des blessures n’indique que le couteau ait jamais été retourné dans la plaie ”). C’est comme si le couteau avait du mal à pénétrer. J’étais stupéfiée. Il frappait vite, comme on timbre les lettres. Il a peut-être porté vingt-cinq coups devant moi. Quand j’ai voulu l’arrêter et qu’il s’est retourné, il m’a