Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/82

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ensanglantée ; j’étais en peignoir ; j’ai retrouvé du sang par tout mon linge. J’avais si peur, que je ne remarquai pas l’état de la chambre ; ce n’est qu’ensuite que j’ai vu que le lit était plein de sang. La veille au soir je n’avais pas entendu de bruit. Il ne venait personne chez eux. Juliette était tranquille et travaillait régulièrement. On n’avait rien à lui reprocher. A lui non plus. Il se conduisait bien. Je ne l’ai jamais vu ivre.

— Est-ce tout ce que vous pouvez dire sur lui :

— L’été dernier, à la suite d’une chute, il avait été longtemps malade. Ma première idée, quand je l’ai vu frapper Juliette, c’est qu’il était devenu fou. Il paraissait l’aimer beaucoup. Ce n’est que quand Juliette m’a dit : “ Il a un couteau ” que j’ai compris qu’il avait une arme. Jusqu’à ce moment j’avais cru qu’il frappait avec le poing.

Charles. — Je n’ai pas vu Mme Gilet. J’ai idée d’elle ; c’est tout.

Mme Gilet. — Après une pareille boucherie, je comprends qu’on perde la tête. Le dernier coup a dû être porté au front. Mais il ne faisait pas clair ; il était six heures moins un quart ; et je n’y voyais guère. Rien, avant, dans la conduite de Charles, ne faisait pressentir ce drame ; s’il y avait des discussions, ils se raccommodaient à peine fâchés.

Mademoiselle Gilet, appelée à son tour, dira :

— Ils chicanaient parfois, sauf à s’embrasser cinq minutes après.