Page:Gilbert-Lecomte – Monsieur Morphée empoisonneur public, paru dans Bifur, 1930.djvu/13

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l’horreur froide et tenace du voile déchiré des antiques mystères. C’est devant la disponibilité la plus absolue de la conscience, le rappel brusque de l’inutilité de l’acte en cours, devenu symbole de tout Acte, devant le scandale d’être et d’être limité sans connaissance de soi-même. Essence de l’angoisse en soi qui fait les fous, qui fait les morts.

Et ce n’est pas l’obscurcissement retrouvé de l’état de conscience normal et intéressé de la vie quotidienne qui peut guérir un homme du souvenir de cette lumière absolue qui tuerait un aveugle vivant. Bien qu’elle ne fut jamais qu’entr’aperçue dans la brisure d’un éclair, elle laisse dans la tête humaine un chancre immortel. Car on ne peut opposer un état coutumier qui serait la norme, à d’autres états qu’on baptiserait pathologiques alors qu’ils sont immédiatement perçus comme inférieurs ou supérieurs à celui-ci. Il y a seulement des états plus ou moins douloureux et la démarche naturelle de l’homme est de chercher à provoquer en lui l’état de moindre souffrance. Ainsi le souvenir d’un état supérieur (en tant que plus lumineux) à l’état dit normal suffit à rendre celui-ci intolérable. Il ne saurait donc s’agir que de le changer le plus souvent et le plus longtemps possible. Malheureusement pour la clarté de cet exposé, ce n’est pas ici le lieu d’envisager les différents moyens capables de faire changer une conscience de plans allant en principe de l’inconscience absolue à la conscience totale et omnisciente : c’est là le principe de toute une éthique dynamique et immédiate. Mais pour le cas qui nous occupe il suffit de savoir que l’usage des stupéfiants, pris en quantité adéquate, est indéniablement, un de ces moyens. Car chaque drogue engendre un état spécifique : ivresse de l’alcool, kief de l’opium, plus généralement euphorie des alcaloïdes, etc. Et s’il est impossible pour le moment d’envisager la valeur morale de ces états, par contre il faut bien admettre qu’ils permettent, à qui se réfugie en eux, de fuir des états plus doulou-