Page:Gilkin - La Nuit, 1897.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais on les voit surgir au feu des éclairs blêmes.
Et des plaintes, des cris, des râles, des blasphèmes,
Dominant le chaos hideux des éléments,
Élèvent vers le ciel ces lourds gémissements :

« Là-bas, dans le cachot, les bourreaux sans entrailles
« Ont fait jaillir mon sang jusque sur les murailles.
« Les lâches m’ont fouetté d’âpres verges de fer
« Où pendaient des lambeaux pantelants de ma chair.
« Les crachats se mêlaient aux soufflets sur ma face.
« Puis, mourant, j’ai traîné ma croix sur cette place
« Et dans mes pauvres mains et dans mes pieds des trous
« Horribles ont subi la torture des clous.
« La croix, alors, ils l’ont dressée et dans la fosse
« Lourdement fait tomber avec un choc atroce
« Où chaque plaie encore plus large a du s’ouvrir.
« Oh ! je souffre ! Je souffre ! Oh ! comme on peut souffrir !
« Tout cela, Dieu puissant, mon Père, par ta faute !
« Voilà ton univers ; voilà l’homme, son hôte ;
« Voilà ton œuvre enfin, cet enfer monstrueux
« Plein de crimes, d’horreurs, de forfaits tortueux,
« De souffrances sans nom et de sanglants délires.
« D’affreux martyres, puis de plus affreux martyres,
« Du sang coulant à flots sur du sang mal séché,
« Le voilà, ton chef-d’œuvre, ô Père, — ou ton péché !
« Penses-tu l’expier, crois-tu sauver le monde
« En me crucifiant sur cette croix immonde ?
« Tout ce que tu veux faire avorte et c’est en vain
« Que je laisse en ton nom couler mon sang divin.