Page:Gilkin - La Nuit, 1897.djvu/225

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« La douleur, je la bois jusqu’au fond du calice.
« Père, comment veux-tu que ton Fils te bénisse ?
« Ah ! je ne voudrais pas être le créateur :
« Les maux de l’univers me briseraient le cœur
« Et je mourrais d’horreur en voyant mon ouvrage.
« Mais tu vis sans remords et ton lâche courage
« Regarde sans rougir ceux qui meurent pour toi.
« Du fond des maux humains, j’entends monter vers moi
« Un horrible concert de sanglots et de râles.
« Ils t’accusent, ô Père, et tes anges, tout pâles.
« Sur l’escalier de feu des saintes visions
« T’apportent l’encens noir des malédictions.
« Étais-tu sage et tout-puissant lorsque ta force
« Créa ce triste monde et peupla son écorce,
« Ou la folie a-t-elle égaré tes esprits
« Et la faiblesse fait trembler tes doigts surpris ?
« Moi qui souffre et qui meurs pour ta honte, ô mon Père,
« Je t’accuse ! Car c’est par toi qu’on désespère ;
« C’est toi qui mets la haine au fond des cœurs malsains ;
« Tu formes les bourreaux après les assassins ;
« Dans tous les paradis tu glisses la couleuvre ;
« Le Démon n’a rien fait de pire que ton œuvre
« Et lui-même est ton fils, et le plus malheureux ! »



II


— Qui frissonne ? À genoux sur les carreaux poudreux
Prie un bel ange noir aux grands yeux d’émeraude.
— Et j’ai baisé ses pleurs sur sa chair tendre et chaude.