Page:Gill - Le Cap Éternité, 1919.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LA FOURMI



Quand je me relevai sur le Cap légendaire,
Il projetait une ombre immense au roc voisin ;
Plus le disque écroulé penchait vers son déclin,
Plus l’ombre s’allongeait tout au loin sur la terre.
Couvrant gorges et monts, ce voile violet
En deux plans bien tranchés partageait l’étendue :
Déjà l’aile du Soir à droite frissonnait ;
Jusqu’aux derniers confins où pénétrait la vue,
À gauche, tout vibrait dans le ruissellement
De l’or et du rubis répandus comme une onde :
Le Cap et le Soleil se disputaient le monde,
Et Dieu les regardait du haut du firmament.

Rien ne venait troubler le vespéral silence ;
Nul bruit n’inquiétait l’enchantement des yeux ;
Ni le bruissement des pins harmonieux,
Ni les soupirs des flots perdus dans la distance.
J’ai penché vers le sol mon front humilié
Devant la vision splendide, et j’ai crié :

― Ô Nature, ô rayons, ô sidéral prodige !
Que devient ma fierté d’être un homme, et que suis-je ?
Ô combat solennel d’un astre et d’un sommet,
Je rentre dans ma cendre où mon orgueil s’effondre !...
Mais comme si la Terre eût voulu me répondre,
Une fourmi survint qui traînait un bluet.

J’ai compris. Elle ancrait au fruit ses mandibules,
Tirait de ci, poussait de là, cambrait son corps ;
Le mouvement triplait ses pattes minuscules.
Bientôt, sur l’âpre sol, l’insecte à bout d’efforts,