Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/107

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mieux aux émotions, obéit davantage aux impressions du peintre. Une vie inconnue, qui lui vient de l’exécution, c’est-à-dire de la sensibilité personnelle de l’artiste, s’ajoute à cette vie multiple qu’elle tient de la nature et d’une faculté d’imitation plus grande. Ses possibilités s’accroissent de toutes parts. Par l’autorité de ses chefs-d’œuvre, Giotto émancipe la fresque, constitue la peinture en genre indépendant. Enfin, il la « nationalise ». Ce qu’elle perd en prix matériel, elle le gagne en âme, en esprit[1]. Ainsi se crée ce style, ce dolce stit nuovo qui allait désormais enchanter l’Italie, et qui n’est autre qu’une volubilité, une popularité d’accent et de langage, un vocabulaire agrandi pour embrasser, pour égaler de

  1. Michelet écrit quelque part (L’Amour, 1858, p. 333). « Vasari a dit un mot remarquable sur le vieux maître Giotto, créateur de l’art italien : « Dans l’expression des têtes, le premier il mit la bonté ». Il y a là une double inexactitude. D’abord, la phrase se trouve dans la vie de Cimabue. Ensuite, le mot de Vasari, « più di bontà, e nell’aria della testa, e nelle pieghe dei panni », s’applique uniquement à la manière du peintre : Vasari la trouve moins « mauvaise » que celle des anciens byzantins, voilà tout. Il ne s’agit nullement d’une qualité morale, mais d’un simple progrès artistique. On peut dire, il est vrai, que cela revient au même ; tout progrès de l’art, en un sens, est un progrès de sentiment.

    Si le cadre de ces leçons me permettait d’être plus complet, il y aurait encore d’autres conséquences à tirer de ce principe d’économie. L’espace me manque malheureusement pour parler des della Robbia, comme j’ai pu le faire d’Angelico. Quel sujet délicieux que la terre cuite du XVe siècle ! Cette transformation populaire de la plastique est tout ce qu’il y a de plus conforme à l’esprit des Mendiants. C’est pour leurs couvents, leurs églises, leurs chapelles de confréries, que les della Robbia ont créé leurs chefs d’œuvre. C’est là qu’il faut les voir, à la Portioncule, à Sainte-Marie-des-Grâces d’Arezzo, à l’Alverne, à Greccio. Toute cette famille fut pénétrée de l’esprit franciscain. La Bibliothèque Nationale possède un manuscrit de Jacopone da Todi (Ital., 1037), déjà signalé par Ozanam, et qui avait appartenu à Luca della Robbia. Un Ambrogio della Robbia prit l’habit au couvent de Saint-Marc, des mains de Savonarole. Ainsi la pauvreté des Mendiants, comme elle valut à l’Italie une architecture et une peinture nationales, lui donna également la plus originale et la plus vivante sculpture. Peut-être, d’une manière générale, n’a-t-on pas tenu assez de compte, dans l’étude de l’art, de ses conditions économiques, et de ce qu’elles revêtent de signification sociale ou religieuse. Rien n’a tant contribué à ses diverses transformations. Voir plus loin (IXe leçon) des indications analogues sur les origines de la gravure et les causes de son développement.