Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/119

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« une petite poule noire », — qu’en fait l’artiste ? Un jeune éphèbe imberbe, svelte, d’une gracilité et d’une souplesse robustes, tel qu’une figure impersonnelle de l’adolescence et de la beauté. Le peintre tourne le dos aux faits et substitue audacieusement à toute tradition, à toute vérité, son propre idéal de jeunesse, d’élégance et de force.

C’est que le génie italien dans sa forme classique, est peu fait pour comprendre une certaine poésie. Ici s’accentue et se précise le désaccord que j’ai plus d’une fois signalé entre l’esprit franciscain et celui de la Renaissance. Il éclate à chaque page dans les fresques d’Assise. C’est une bien humble église, une pauvre chapelle de campagne, que cette chapelle de Saint-Damien où le vieux crucifix parla à saint François ; elle se distingue à peine, parmi les oliviers, des murs en pierres sèches qui séparent, au flanc de la colline d’Assise, les petits champs de vigne des maigres pâturages. Et s’il y a encore, dans toute l’Italie, un lieu empreint de la vraie grâce franciscaine, c’est bien cette grotte de Greccio, où le saint célébra un si charmant Noël. En faisant de ces sanctuaires, chers entre tous au pèlerin, deux églises brillantes, deux modèles de l’art des Cosmates, resplendissants de marbres et incrustés de mosaïques, Giotto ne donne pas seulement une entorse à la vérité : il change la nature des choses, il tue l’âme de la légende. Ce n’est plus l’esprit chrétien qui parle, c’est le génie de la Renaissance, sa passion de la gloire, son orgueil de la vie[1].

  1. M. Sabatier cite (Vie de saint François, p. XXII), cette phrase de Cristofani, l’historien d’Assise. C’est la conclusion d’un portrait de saint François : « Nuovo Cristo in somma e pero digno d’esser riguardato corne la più gigantesca, la più splendida, la più cara tra le grandi figure campeggianti nell’aere del medio evo » (Storia d’Assisi, éd. 1885, I, p. 70). Trois épithètes, dont les deux premières sont bien les plus choquantes qu’on puisse imaginer pour le Poverello. On prend là sur le fait la manie des grandeurs, le « machiavélisme » italiens.