Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/136

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forme reste brève et simple ; les plus longs n’ont que quelques pages. L’Italie a toujours senti le « frein de l’art ». Rien ne prouve, d’ailleurs, que les laudesi aient fait positivement partie de l’organisation des Mendiants. Ce sont toutefois des mouvements similaires, et qui offrent entre eux de grandes analogies[1]. Le plus grand poète de laudesi est justement un franciscain, cet extraordinaire Jacopone da Todi, l’auteur présumé du Stabat, auquel nous devons quelques-uns des plus beaux cris qu’aient jamais inspirés la colère et l’amour. Son poème le plus célèbre, le Corrotto ou la lamentation de la Vierge pendant la Passion, a déjà l’allure véhémente, la coupe dialoguée, le rythme saccadé de l’action la plus vive. Ces deux cents vers, emplis d’une frénésie de larmes, sont comme un extrait concentré, un élixir de tragédie[2].

Rien n’était davantage dans le génie franciscain. Pour saint François lui-même, toute idée à l’instant devient un petit drame, une scène concrète. Il avait, — trait encore fréquent en Italie, — l’éloquence du geste, le don de l’action expressive qui chez les peuples simples remplace le discours. Tout jouait son rôle, tout servait dans cette pantomime. On connaît l’anecdote de la « famille de neige. » Une nuit d’hiver, on le vit descendre au jardin, façonner sept bonshommes, et on l’entendait en même temps se parler à lui-même. « Cette grande-là, murmurait-il, c’est ta femme ; voici tes fils, tes filles, puis le valet et la servante. Allons, paresseux ! à l’ouvrage ! Habille-les maintenant, car ils gèlent ! » Un autre jour, il devait prêcher les Clarisses d’Assise : les saintes filles se faisaient une fête d’entendre parler

  1. Cf. G. Mazzatinti, Laudi francescani di un codice parigino, Miscell. francesc, t. III, p. 119 ; Laudi francescani dei disciplinati di Cortona, ibid., t. IV, p. 48.
  2. Sur Jacopone, cf. Ozanam, Les poètes franciscains, et Gebhart, L’Italie mystique ; voir surtout A. d’Ancona, Studij sulla litteratura italiana dei primi secoli, Ancône, 1884 ; et Barberis, Jacopone da Todi, Todi, 1901