Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/138

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François, qui servait la messe comme diacre, fit la lecture du texte sacré. Et puis, de sa voix musicale il se mit à expliquer ce qui venait de s’accomplir. En mots très simples, très bas, très doux, il fait comprendre cette merveille : le créateur du monde s’égalant par amour à la plus humble de ses créatures, un Dieu se faisant petit enfant. Et voici que lui-même, comme un petit enfant, se met à balbutier. Il chevrote « Bethléem » d’une voix presque bêlante. Et en nommant Jésus, il se lèche les lèvres comme si c’était du miel.

Certes, il y avait là de quoi scandaliser les écolâtres et les intellectuels. Mais le saint histrion, le jongleur du bon Dieu, ranimait et rafraîchissait par le sentiment et l’image ce que l’excès du raisonnement menaçait de flétrir : la fleur divine, qui se desséchait entre les pages d’un livre, reprend en pleine terre. Le Christ redevenait une réalité. Je n’ai pas fini de conter la nuit de Greccio. On assure qu’au moment de l’élévation, un des assistants, — le propriétaire lui-même de la grotte, — vit un enfant de lumière qui rayonnait sur la paille. C’était vraiment Noël qui souriait au monde : Jésus, au bout de douze siècles, renaissait dans les cœurs[1].

  1. Celano, I, ch. xxx, Rome, 1906, p. 85. — La fête du Santo Bambino se répète tous les ans à l’Ara Cœli. « Chaque année, au jour de Noël, on dresse dans l’église un simulacre de l’étable de Bethléem. Là, à la clarté de mille cierges, on voit sur la paille de la crèche l’image d’un nouveau-né. Un enfant, à qui l’usage permet en ce jour de prendre la parole dans le lieu saint, prêche la foule, et la convie à aimer, à imiter l’Enfant-Dieu, pendant que les pifferari venus des montagnes du Latium donnent, avec leurs cornemuses, de joyeuses sérénades aux madones du voisinage. » (Ozanam, Poètes franciscains, 5e édit., 1872, p. 149)

    Ce passage, d’un aimable romantisme à la Léopold Robert, rappelle un autre usage qui a laissé des traces dans la peinture. Plusieurs tableaux de l’Albane, du Guide, de Murillo, représentent le Bambino étendu sur la croix. On a vu dans ce motif la sentimentalité puérile et un peu niaise, la préciosité du XVIIe siècle. Il s’agit en réalité d’une cérémonie qui remonte au moyen âge. Cf. Mazzi, La congrega dei Rozzi in Siena nel secolo XVI, Florence, 1882, t. I, p. 5. On y lit, le 7 avril 1257 : Item, si placet vobis quod ob reverentiam J.-C. dentur illi puero qui fuit positus in cruce loco Domini die Veneris