Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/139

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Dans quelle mesure cette scène de dévotion rustique est-elle déjà du théâtre ? C’en est au moins le germe, l’ébauche ou le principe : réaliser devant les yeux, pour les sens, l’imagination, des choses qui autrement resteraient vagues pour la masse. Cette popularité est la signature des Mendiants. Voilà pourquoi l’art, le théâtre, les tableaux vivants, tout ce qui sert à préciser les représentations, a toujours fait partie de leur programme. Les Prêcheurs ne restent pas en arrière des Mineurs ; mais leur caractère distinctif, une autre manière de frapper les foules, un air plus théâtral, le goût de l’ostentation, des « montres », des cortèges, percent chez eux dès l’origine. Le jour de l’Épiphanie, ils organisent à Milan la pompe des rois Mages. Les cloches sur le parcours sonnent à toute volée. Un bas-relief de Saint-Eustorge nous a conservé le spectacle de cette cavalcade magnifique, avec ses figurants, son vestiaire exotique, ses singes, ses perroquets, ses chameaux et ses dromadaires[1]. Le jour des Rois dominicain dans les rues de Milan forme un piquant contraste avec la Noël francis-

    sancte, etc. Ce n’est pas la seule observation de ce genre que nous aurons à faire. Cf. plus loin, leçons IX et X.

  1. La « première » eut lieu le 6 janvier 1336. Le cortège partit de Sainte-Marie-des-Grâces. Voici la description qu’en fait le chroniqueur Galvano Fiamma : « Les rois, couronne en tête, chevauchaient entourés de gardes et magnifiquement vêtus, devant une suite immense de bêtes et d’esclaves. Et il y avait une étoile d’or qui glissait en l’air devant eux et leur montrait la route. Ils arrivèrent ainsi au porche de Saint-Laurent, où se tenait Hérode avec ses scribes et ses sages. Les étrangers demandèrent où devait naître le roi des Juifs. Les scribes remuèrent un tas de livres et répondirent : « À Bethléem, à cinq milles d’ici. » Alors les Rois se remirent en marche avec leurs couronnes d’or et leurs pyxides d’or qui contenaient de l’or, de l’encens et de la myrrhe, leur étoile toujours devant, et derrière leur escorte de bêtes et de serviteurs ; en tête faisaient rage les trompettes et les cors, puis venaient des singes, des babouins et toute une ménagerie bizarre qui excitait les cris de la foule.

    « Le cortège parvint dans cet ordre à l’église Saint-Eustorge. Là, à côté de l’autel, on avait fait la crèche avec l’âne et le bœuf ; et dans la crèche était le petit Jésus, dans les bras de sa mère. Après quoi, leurs présents offerts, les Mages firent semblant de s’endormir ; et un Ange avec de vraies