Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/144

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Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide,

semblent la devise du siècle. On se crucifie avec horreur, avec une sombre volupté. À force de méditation, de concentration assidue, les choses prennent un degré de réalité étrange, une sorte de relief physique, la consistance et l’évidence de l’hallucination. Parfois, l’attention se circonscrit sur un détail et l’« objective » avec une énergie incomparable, Angèle de Foligno énumère toutes les tortures de la Passion. Par-dessus tout, les clous. « C’étaient des clous très gros, carrés et mal battus, si bien qu’ils présentaient sur toutes leurs faces et leurs arêtes mille petits éclats et mille aspérités qui déchirèrent, hachèrent les mains, les pieds, furent une cause de souffrances effroyables. Un supplice pire que tout supplice résulta de la forme de ces clous. » Angèle ne s’en tient pas là. Elle pense au trou que ces clous ont fait dans la chair, et alors « elle veut voir au moins cette parcelle de la chair de Jésus que ces horribles clous avaient enfoncée dans le bois ». Cette souffrance, ajoute-t-elle, fut « tellement inouïe, que je ne fus plus capable de me tenir debout. Je baissai la tête et tombai[1]. »

Imaginez le même travail d’analyse atroce et minutieuse poursuivi sur chaque circonstance du drame du Calvaire ; et puis songez à ce qu’il en résulte de bouleversement pour les nerfs et de rigueur ou de précision dans

  1. B. Angelae Fulginatis vita et opuscula, Foligno, 1714. Pour des traits analogues chez Rose de Viterbe, chez Marguerite de Cortone, Cf. La Passione di G. Cristo ed i Francescani, par le P. Candido Mariotti, Sainte-Marie-des-Anges, 1907. Voir surtout, p. 122, la scène que rapporte le confesseur de Marguerite : elle revit une à une toutes les souffrances de la Passion ; elle s’enlace à la croix et y reste clouée ; ses douleurs lui arrachent des hurlements ; elle roule les yeux, grince des dents, se tord « comme un serpent ou comme un ver », ou reste immobile, accablée, comme quelqu’un qui tombe du haut mal. Le public assiste à ces transes avec admiration. Ces scènes de convulsionnaires font comprendre le caractère du nouveau christianisme.