Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/155

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sur la tombe d’Adam, le tronc, dans la suite des siècles, devient la maîtresse pièce de la charpente de l’Arche ; cette poutre, inutilisée dans la construction du Temple, est jetée sur un torrent et sert de pont au cortège de la reine de Saba, à l’entrée des « Gentils » dans le plan de la Rédemption. Elle flottait sur la piscine probatique, qu’elle rendait miraculeuse, lorsqu’elle en fut retirée pour devenir la Croix. Ce bois était l’axe du monde, l’épine dorsale de l’histoire. Et ce n’est pas là tout le fruit que le génie franciscain tira de ce Lignum vitae, de cet arbre vivant[1]

Mais je ne puis en finir avec les Méditations, sans toucher un mot d’un second trait qui fut un élément de leur rare fortune. On l’a remarqué plus d’une fois : le titre annonce la Vie de Jésus, mais dans le texte il est question tout le temps de la Vierge. La mère est de moitié dans la vie de son fils. Le fil sacré, le fil mystérieux et sanglant qui rattache la femme à l’extrait de sa chair, n’est jamais complètement rompu ; on tranche le lien matériel, rien ne brise le nœud de l’amour. Cette idée seule était une idée de génie. Sans doute, elle n’est pas de l’auteur des Méditations[2] : il n’est donné à personne d’inventer en ce genre, et le cœur maternel n’est pas à

  1. Voir Leg. Aur., ch. lxviii, Ed. Graesse, 1890, p. 303. — Le Lignum vitae est encore un des « apocryphes » de saint Bonaventure. Les Arbres de la croix se rencontrent dans l’iconographie franciscaine : fresque dans le réfectoire de Sainte-Croix à Florence et de S. Francesco à Pise, panneau à l’Académie de Florence (Cf. Venturi, loc. cit., t. V, fig. 410 et 448. Il y en avait un à S. Francesco de Forli (Vasari, t. I, p. 405). Sur ce thème, cf. Thode, loc. cit., t. II, p. 225.
  2. On la trouve déjà très nette dans l’apocryphe de saint Anselme. C’est la Vierge qui fait elle-même le récit de la Passion. On a ici une sorte d’interview de la Mère. Le dialogue procède comme un questionnaire, par interrogations qui déterminent chacune l’évocation d’une scène. Et, à la fin de chaque tableau, le refrain : Gladius Simeonis pertransivit animam meam. Ce morceau abonde d’ailleurs en idées fines, délicates : ainsi, l’idée (bien italienne) qu’on devait épargner Jésus à cause de sa beauté (Patr. Lat., t. CLIX, p. 279) ; celle que les natures nerveuses, distinguées, souffrent plus que les autres [ibid., p. 271). M. Roy a montré que toute la Passion des Méditations