Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’église inférieure d’Assise et au Santo de Padoue une peinture singulière. On voit un frère mineur qui, avec un geste persuasif, exhibe un second personnage, à peu près comme un montreur d’ours fait le boniment pour son « sujet ». Seulement, ce « sujet » n’est autre qu’un squelette, ricanant d’un air idiot, une couronne posée de travers sur le crâne, un peu comme l’ilote ivre du pédagogue Spartiate. Ce mort dégingandé, promené en laisse par son cornac, avec ses flageolants tibias, ses yeux vides, son rire hébété, forme une violente leçon de choses[1].

L’idée de la mort se présente de plus d’une façon. Elle peut se montrer d’une manière globale, enveloppant l’humanité entière, le passé, le présent, l’avenir, tout ce qui est né et à naître, et comparaîtra au jour final devant le tribunal de Dieu. Jésus développe longuement ces visions eschatologiques. Lui-même nous trace l’esquisse de cette catastrophe suprême de l’histoire, Cette scène redoutable est une des premières qu’ait représentées l’art chrétien.

    le frère de sainte Douceline : « Il disait des choses merveilleuses du royaume des cieux et de la gloire du Paradis, et des choses effrayantes des châtiments de l’enfer, etc. » Loc. cit., p. 226.

  1. La chose ne se faisait pas seulement en peinture. Henri Estienne nous parle d’un certain cordelier campagnard, un Bridaine du xve siècle, qui, à de certains moments, sortait de dessous sa chaire et brandissait un crâne ; pour le rendre plus effrayant, il y allumait une chandelle. Avec son parti pris ordinaire, l’écrivain ne voit là qu’une farce de charlatan. Le savant humaniste est assurément excusable de n’avoir pas connu la scène du cimetière dans Hamlet, ni le monologue de Faust devant une tête de mort. Mais un pareil trait montre assez sa complète inintelligence de la poésie chrétienne.

    Sur la pensée de la mort dans la littérature franciscaine, cf. les poésies de Jacopone da Todi, surtout la séquence latine :

    Cur mundus militat sub vana gloria,
    Cujus prosperitas est transitoria ?

    et le développement qui suit : « Dites-moi, que sont devenus Salomon et Samson l’invincible, et le bel Absalon, et l’aimable Jonathas ? Où est allé César en tombant de la hauteur de son empire, et le mauvais riche au sortir du festin ? » C’est déjà le thème et le mouvement des sublimes ballades de Villon. Ozanam, Poètes franciscains ; Thode, ouvrage cité, t. II, p. 139, 239 et suiv.