Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/231

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de la Vierge de Pitié ou de la Pietà[1] ? Celui-là a fait une trouvaille dans le royaume du cœur. Il a ajouté une note à la gamme des sentiments. Le tableau de Giotto est beau, — presque trop beau : il y entre trop d’ « art », de « composition ». La douleur simplifie, elle élague, élimine, ne retient qu’une idée, une image qui l’obsède, s’enfonce dans le sein qu’elle torture. De la douleur, l’auteur de la Pietà fait son abstraction. Condensant tout le désespoir de la Lamentation, il ne conserve, avec la figure du mort, que celle de la mère, et il obtient ainsi, sous la forme la plus concise, le type abrégé, l’absolu de la souffrance morale.

La Vierge de pitié pleurant son fils couché en travers de son giron, forme une sorte de triste « pendant » à la Madone siennoise, à l’aimable Madonna del latte, telle que la peint Lorenzetti, berçant le bambino qui sourit dans ses bras. Notez que l’Évangile ne dit rien de pareil : qui doute cependant que le couple admirable qui extrait et résume, dans un sublime rapport, toute la douleur humaine, toute la douleur divine, ait pris place au pied de la croix ? Qui peut diversement se figurer les choses ? Exemple remarquable de ce procédé continu de révéla-

  1. Il semble se rencontrer pour la première fois aux environs de 1390, dans un de ces livres merveilleux que se faisait exécuter le prince des bibliophiles, le duc Jean de Berry (B. N. lat. 18.014). Cf. Mâle, loc. cit., p. 31, fig. 9. Mais d’où vient le motif ? Quel en est l’inventeur ? Il y a peu de chances de résoudre ce petit problème.

    Ici, une fois de plus, tout sort des Méditations. Giotto illustre la fin du chapitre LXXXI. « Notre-Dame prend la tête et les épaules sur son sein, Madeleine soutient les pieds… Les autres se placent autour, etc. » Le peintre du duc de Berry prend le début du chapitre suivant : « Notre-Dame pleurait d’intarissables larmes ; elle considérait les blessures des mains et du côté ; elle contemplait le visage, la tête, les piqûres des épines, la barbe arrachée, les cheveux coupés… » Tout y est, jusqu’à la calvitie et au poil saccagé. Mais la Vierge est encore au milieu des saints personnages. Ce n’est qu’un stade intermédiaire. Le chef-d’œuvre ne sera parfait que lorsque tous les épisodes étrangers se trouveront supprimés, et que le couple sublime, dégagé de tous les comparses, se présentera à l’état pur. De qui, encore une fois, est l’idée de génie ?