Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/232

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tion, qui maintient parmi nous, d’une éternelle présence, des faits qui n’ont occupé dans l’histoire qu’un moment, et qui demeurent ainsi actuels à travers les âges, et comme contemporains des siècles !

Ce groupe de la Pietà marque dans l’histoire religieuse le point de sensibilité le plus aigu, le plus subtil et le plus délicat. Il ne pouvait être enfanté que par un christianisme étrangement familier, d’une intimité surprenante avec l’Évangile, d’un raffinement exquis d’imagination. On sent là une intuition de femme, la vision précise et follement tendre d’une sainte Brigitte, ou de ce suave Bernardin de Sienne. Du plus cher de leurs rêves, ils ont composé à eux deux ce groupe incomparable de la pitié humaine. Et quelle variété, quelle individualité d’expression dans chaque œuvre nouvelle ! Quelle richesse d’émotion dans ces deux seules figures ! Tantôt la Vierge, les mains nouées autour de la dépouille, se redresse farouche, la défend des mains invisibles qui la réclament pour l’ensevelir ; tantôt elle lui fait sa toilette funèbre ; d’autres fois elle se penche sur son visage défiguré, contemple les empreintes des épines, les cheveux collés, gluants de sang, la barbe raide comme une corde ; parfois, sur ses genoux, le Christ apparaît si réduit, si exténué, si menu qu’on dirait un enfant. « Alors, écrit saint Bernardin, elle croit revenus les jours de Bethléem ; elle se figure que Jésus s’endort, elle le berce sur sa poitrine ; et le suaire où elle l’enveloppe, elle s’imagine que ce sont ses langes[1]. »

Certes, il y a là quelque chose de presque excessif, une hyperesthésie, une volupté de souffrir qui paraissent un peu morbides. Un siècle qui se délecte dans cette navrante image n’est assurément pas un siècle bien por-

  1. Saint Bernardin Sermon, LI.