Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/25

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dant trois siècles à travers toute l’Europe un nombre incalculable d’œuvres d’art ; qu’ils sont contemporains du mouvement de pensée d’où sort la Renaissance ; qu’ils se trouvent ainsi associés, dans une mesure à préciser, à quelques-uns des plus graves événements de notre histoire morale ; que deux de ces Ordres sur quatre, — les Mineurs ou Franciscains, les Dominicains ou Prêcheurs — (les deux autres sont les Carmes et les Ermites de Saint-Augustin[1]), ont produit une foule de légendes, d’héroïques

  1. On ferait une utile étude sur les caractères artistiques de ces deux ordres. Leur rôle n’est pas toujours celui de simples doublures ; nous aurons l’occasion d’en faire la remarque dans la cinquième de ces leçons, à propos des peintures de la Chapelle des Espagnols. Ces peintures sont, en effet, un thème « augustinien », que les Dominicains empruntèrent, en l’amplifiant, à deux beaux manuscrits qui nous sont parvenus. Cf. Dorez, Le canzone delle Virtà e delle scienze, Bergame, 1904. Mais la chose n’en resta pas là. Les Augustins, frustrés dans la gloire de leur héritage par la célébrité de la Chapelle des Espagnols, en firent faire une toute semblable, comme une revendication éclatante, dans leur église des Eremitani à Padoue, la même que Mantegna devait décorer de fresques illustres. Voir J. von Schlosser, Giusto’s Fresken in Padua, Vienne, 1896. Peut-être faut-il attribuer à l’influence augustinienne le célèbre plafond « astrologique » du Salone de la même ville. En tout cas, on ne saurait négliger ici le Triomphe de saint Augustin du musée de Besançon, tableau exécuté visiblement en concurrence des Disputes de saint Thomas de Francesco Traini à Pise et de Benozzo Gozzoli au Louvre. Il y a d’ailleurs en Italie presque autant d’églises portant le nom de S. Agostino, qu’il y en a de consacrées à saint François ou à saint Dominique. La vie de saint Augustin y remplace celle de ces derniers. L’église de saint Augustin à S. Gimignano est un type charmant de l’art des Mendiants.

    Les Carmes sont un ordre encore plus intéressant. Ils offrent une physionomie extrêmement originale. Victor Le Clerc observe qu’ils ont rapporté du Carmel un caractère oriental, quelque chose de la mégalomanie, des mirages de là-bas. Ils s’étaient composé une légende de leurs origines fabuleuses. Leur ordre, prétendaient-ils, remontait à Élie lui-même, et comptait Pythagore au nombre de ses chefs (Hist. littér. de la France, t. XX, p. 511, et Anal. Bolland, 1906, p. 195). Il est difficile de ne pas reconnaître dans ces fables audacieuses un reflet des visions de l’Islam, de ces demi-hallucinations avec lesquelles Mahomet entraînait les Arabes, ou qui fanatisaient les bandes du Vieux de la Montagne.

    D’ailleurs, dans la pratique, il ne semble pas que les Carmes aient beaucoup différé du reste des Mendiants. Ce qu’on raconte des succès oratoires de Thomas Couette, le carme breton du XVe siècle, qui se faisait, dit-on, hisser au bout d’une corde pour se faire entendre de plus loin, n’est (si le texte est bien interprété) qu’une réédition de ce que nous savons de vingt autres prédicateurs franciscains ou dominicains. Tout le monde sait que