stupeur qui les tient là pétrifiés. Peu à peu, le morne enchantement de la douleur vous gagne ; les yeux ne se détachent plus du corps martyrisé sur lequel se concentrent tous ces regards de pierre, et vous prolongez avec eux, dans une émotion anxieuse, la vision suprême de ce que va bientôt dérober le tombeau.
Cette poignante scène, la plus noble invention de la sculpture du xve siècle, se rencontre fréquemment en France, à Chaource, à Tonnerre, à Joigny, en cent endroits encore. La plus ancienne, dont il ne reste que des débris, date de 1443[1]. La plus célèbre, les « Saints » de Solesmes, chef-d’œuvre du grand Michel Colombe, est postérieure d’un demi-siècle[2]. Le tombeau de Saint-Mihiel, par le Lorrain Ligier Richier, est du milieu du siècle suivant. La vogue du motif s’étend sur une centaine d’années. Des sépulcres semblables furent modelés en terre cuite dans la Haute Italie, à Modène, à Bologne, par des maîtres fameux, Niccolo dell’ Arca ou Guido Mazzoni[3]. Mais ces œuvres tourmentées, théâtrales et gesticulantes, n’égalent pas la retenue touchante de leurs sœurs françaises de Tonnerre, de Chaource ou de Solesmes.
Je crois que ces groupes mortuaires sont une création des confréries. M. Mâle est d’un autre avis : il n’y voit
- ↑ À Bourg-en Bresse (Bullet. de la Soc. des Antiq. de France, 1905, p. 238). Cf. Mâle, loc. cit., p. 132. Le tombeau de l’église Saint-Gilles à Nuremberg est de 1446. Cf. L. Réau, Peter Vischer, 1909. p. 48 et suiv., et pl. III. — L’admirable tombeau de l’hôpital de Tonnerre fut placé en 1453. Celui de Chaource (Aube), peut-être le plus parfait de tous, surtout pour les figures de femmes, est de 1515. Koechlin et Marquet de Vasselot, La Sculpture à Troyes, p. 104 ; Mâle, ibid., fig. 62, et p. 138.
- ↑ Vitry, Michel Colombe, 1901, p. 276.
- ↑ Bologne, église « della Vita ». Tombeau par Niccolo dell’ Arca {1463) ; Modène, San Giovanni, Tombeau par Guido Mazzoni, etc. Cf. Malaguzzi-Valeri, Le Terrecotte bolognesi, dans l’Emporium, X, 1899 ; — Bode, Niccolo dell’ Arca et Aldovrandi, Il Sepolcro di Santa Maria della Vita, dans l’Arte, II, 1899 ; — A. Venturi, Guido Mazzoni, dans l’Archivio storico italiano, 1887.