Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/268

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On surprend dans tout cela des préoccupations extrêmement particulières. Le donateur de Nuremberg serait, d’après la légende, un nommé Martin Ketzel qui avait repéré lui-même sur le terrain les étapes de la via dolorosa, pour les reproduire dans son pays. Il se perdit, dit-on, dans ses comptes ou s’embrouilla dans ses calculs. Il refit le voyage et reprit ses mesures. De là le chef d’œuvre qu’on admire en marchant quand on suit le chemin du cimetière à Nuremberg.

Lorsque, dans la révolte des sens et de la nature, le père, l’époux rendent à la terre ce qui était à la terre ; lorsqu’ils vont sur une tombe évoquer ce qui fut l’orgueil de leur maison, le chaste charme de leur lit, — ils voient, à côté d’eux, Celui qui s’est soumis à la même agonie et aux mêmes défaillances. L’homme ne craint plus de tomber où est déjà tombé Jésus ; il ne rougit plus de faiblesses que le Christ a voulu revêtir ; il pense moins à ses souffrances en songeant à celles de son Dieu. Le Dieu et l’homme s’encouragent à porter leur croix et s’aident mutuellement à gravir leur Calvaire.

Le « Chemin de la croix » est donc né du pèlerinage. La Croisade avait pris cette forme pacifique ; des confréries s’étaient formées, dont les membres s’engageaient à faire le voyage. Mais un procédé familier du développement religieux est le système de l’équivalence ou de la compensation[1] : un minimum conventionnel, joint à l’intention, tient lieu de l’action réelle. Le rosaire remplace la récitation du psautier. On met à la portée de tous, on rapproche et on vulgarise ce qui n’était encore que le privilège du petit nombre. On put gagner à domicile les mérites du lointain et périlleux voyage. Le bienheureux Suso est un des promoteurs de cette sainte pra-

  1. Thurston, loc. cit., p. 2-3.