Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/267

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celle du cimetière Saint-Jean[1]. L’auteur s’est-il souvenu des Mystères ? La scène a-t-elle aidé son imagination ? C’est possible, — mais là n’est pas la cause de l’ouvrage ou, si vous préférez, sa « raison suffisante ». Ce chemin ne comprend que sept stations : leur choix est significatif. L’artiste représente les « sept chutes » du Christ ; il ne s’agit donc pas de montrer une action à la manière du théâtre, dans sa succession complète et historique, mais d’y prélever, pour ainsi dire, un certain nombre de faits spécialement émouvants. La continuité se brise ; la chaîne du drame se démaille : dans cet émiettement surnage une situation unique, un thème qui émeut par sa répétition : de ces fragments expressifs se recompose alors, comme par attraction, une unité nouvelle ; ils s’alignent de place en place le long d’un espace idéal, — comme un musicien, dans un développement funèbre, estompant ou noyant dans l’ombre tout le luxe de la symphonie, ramène par intervalles le même trait rythmique et la chute lourde et uniforme d’une période pathétique.

  1. On regardait autrefois les Sieben Fälle de Krafft comme une de ses premières œuvres et on la datait à peu près de 1490 ; la critique moderne y reconnaît au contraire une de ses dernières créations. Cf. la chronique de Neudorffer : « A° 1508 hat er (Krafft) vor dem Thiergärtnerthor in Stein gehauer und auffgericht die Siebenfäll Christi, welche man gemeinlick nennet hei den sieben Kreuzen, bis hinaus ad montem Calvariae zu den Capellein bei sanct Johannis ».

    On est surpris que Thurston, qui a connu ce texte (loc. cit., p. 92), croie qu’il s’agit d’une œuvre nouvelle, distincte de la première, à laquelle il continue d’assigner la date traditionnelle. L’auteur ne semble pas non plus fort au courant de la topographie de Nuremberg. Enfin, il ne paraît pas douter de la réalité du fabuleux Martin Ketzel (voir plus loin) ; des recherches d’archives ont pourtant démontré que le véritable donateur est Heinrich Marshalk von Rauheneck, lequel avait déjà fait élever un chemin de croix semblable, vers 1500, à S. Getreu de Bamberg. Ainsi, l’œuvre de Krafft n’est pas, comme on le croyait, l’original, mais une imitation des Sept stations de Bamberg. — Les bas-reliefs originaux, en grès, très effrités et mutilés, sont aujourd’hui recueillis au Musée Germanique, et remplacés par des copies. Ces bas-reliefs étaient autrefois isolés sur des piliers ; les copies qui ont pris leur place se trouvent encastrées dans les murs des maisons qui bordent la rue du cimetière. Cf. C. Geyer, Die Sieben Fälle von Adam Krafft, Repert. für Kunstwissenschaft, 1905 ; Louis Réau, loc. cit., p. 85 et suiv.