Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/272

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facile de reconnaître une Passion abrégée : un moins novice aurait su que ce genre de rébus était au xve siècle un article de dévotion courante[1].

Il y a d’ailleurs plusieurs façons de représenter les choses. En France, par exemple sur les belles tapisseries d’Angers, ce sont des anges qui portent les instruments de la Passion. Ailleurs, on les arrange en vitraux héraldiques, en écu, en blason : il était bien juste que le Dieu des armées eût ses armes. En Allemagne et en Flandre, pays de goût moins sûr, on ne se borne pas à combiner ainsi les outils du supplice : on ne craint pas d’y mettre les blessures elles-mêmes. Ce sont les mains, les pieds tranchés et transpercés ; c’est un cœur extrait de la poitrine et béant d’un coup de lance. Cette plaie, d’où suinte du sang, on croyait en connaître la dimension exacte : on la trouve souvent reproduite dans les Heures, comme une fente en forme de navette dans une patène posée sur un calice d’or. Cette vue ne rassasie pas encore la soif d’émotions : souvent le cœur saignant apparaît écartelé des quatre tronçons coupés, troués et dégouttants de sang. Si ce n’étaient là des signes, de simples amulettes, on se sentirait écœuré de cette boucherie.

  1. Le modèle est toutefois exceptionnel en Italie. Voir pourtant aux Offices, la Pietà de Lorenzo Monaco, datée de 1403 ; Angelico, Klassiker der Kunst, t. XVIII, p. 116 et 163 ; et Berenson, Lorenzo Lotto, 2e édit., 1905, p. 206. Souvent, les emblèmes douloureux sont portés par les anges : ainsi dans le beau tableau de Bonsignori, à Mantoue, représentant la religieuse dominicaine, la Beata Osanna († 1505). Cf. Cartwright, Isabella d’Este, Londres, 1903, t. I, p. 276.

    C’est dans le Nord surtout qu’on rencontre les Arma Christi. Cf. Mâle, loc. cit., p. 98 et suiv. Le plus ancien exemple se trouve dans un manuscrit de l’Arsenal (no 288), du début du xive siècle. Rapprocher l’étonnante énumération du Speculum Humanae Salvationis, ch. xxx :

    Columna, virgae, flagella, sputa, arundo et funiculi,
    Crux, clavi, lancea, mallei, corona et tabula tituli,
    Alapae, colaphi, opprobria, blasphemia et derisio,
    Velamen oculorum, Prophetiza Christe, et westimentorum divisio.
    Sors super tunicam et Herodis album indumentum,
    Tribunal judicii, lotio manuum et purpureum vestimentum,
    etc.

    N’est-ce pas le programme même de ces curieuses peintures ?