Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/273

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Mais à l’ordinaire, ces idées de délectation douloureuse, ces images de plaies et de tortures se trouvent associées à un motif plus élevé, qui représente le Christ de pitié ou Christ de la Messe de saint Grégoire. On voit le Christ sortant à demi du tombeau, exsangue, les yeux clos, tel que l’a fait la mort, exténué encore par un excès de douleurs, — cadavre courbaturé et à bout de supplices, et pourtant animé d’une vague et faible vie qui n’est faite que du souvenir et de la trace de ses souffrances. Cette étrange figure paraît d’origine orientale[1]. C’était sans doute une icône grecque qui se trouvait à Rome au xive siècle dans l’église de Saint-Grégoire. On se figura pour l’expliquer qu’elle rappelait une vision, et que Jésus, qui s’était montré plus d’une fois au saint pontife, lui était apparu un jour sous cette forme.

Le succès de cette image fut extraordinaire. Pendant deux siècles, il n’y en eut pas de plus souvent sculptée sur les tombeaux[2], reproduite par les peintres et les miniaturistes, de plus multipliée par le livre et l’estampe. C’est que des indulgences énormes y étaient attachées : on parle de six mille, de vingt mille, de quarante mille ans de « pardon ». Ce fut la dévotion par excellence des âmes du purgatoire. Qui n’avait dans l’autre monde une âme à délivrer des flammes ? Aujourd’hui encore, on ne

  1. Mâle, loc. cit., p. 93-97. Il semble que le Crucifix lui-même, aux premiers siècles de l’Église, soit déjà venu d’Orient. Cf. Bréhier, Les Origines du Crucifix, 1904, ch. III.
  2. Le plus ancien exemple se trouve sur le pupitre de la chaire de la cathédrale de Pise (1310), aujourd’hui au musée de Berlin. Cf. Venturi, Storia dell’ Arte italiana, t. IV, fig. 159. À partir de cette date, le motif se rencontre souvent sur les tombeaux ; ibid., pp. 521, 545, 546, 589, etc. — Cette dévotion fut puissamment protégée par les Franciscains. À la fin du xve siècle, le Christ de pitié devient l’enseigne de leurs Monts-de-Piété. Barbier de Montault, Œuvres, t. VI, p. 254. Au xvie siècle, ils créent aux Philippines une province de Saint-Grégoire : sur le sceau se voyait la scène de la vision. Gonzague, De Orig. Seraph. Religionis, p. 60 ; — Barbier de Montault, Œuvres, t. VI, p. 239.