Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/290

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brillante et plus belle. Son visage parut plus candide que la neige. Son vêtement était le soleil. Une pensée, depuis longtemps latente dans la conscience chrétienne, acheva de se dégager : on entrevit le dogme de l’Immaculée conception.

Formulée par les franciscains, combattue par l’ordre rival, l’idée, après deux siècles de doute, perce enfin le nuage. Tout y collaborait. Plus les thomistes niaient à une femme née de la femme le privilège extra-humain qui l’exemptait de la tare originelle, plus ils exaltaient le miracle de sa maternité virginale ; et cette virginité prodigieuse avait pour conséquence le privilège même qu’ils voulaient refuser[1]. Ainsi tous conspiraient, adversaires comme partisans, à l’apothéose de l’idéale figure, de notre sœur divine et humaine. Personne n’a écrit sur la Vierge des choses plus délicieuses que le dominicain de Coblentz, le bienheureux Henri Suso. Sa vie est le plus suave des romans mystiques.

« Un matin, étant revenu se reposer dans sa cellule[2], il commençait à s’assoupir, quand il fut réveillé par les tambours de la citadelle, qui battaient la diane ; aussitôt il se secoua et se prosterna contre terre. Il salua sa Reine comme l’oiseau salue l’aurore. Et une voix intérieure lui répondit mélodieusement : « Maria Stella maris, hodie processit ad ortum… Voici Marie, voici l’étoile de la mer qui se lève. »

« Une autre fois, au commencement de mai, il avait, suivant sa coutume, offert un chapelet de roses à la reine du ciel ; le matin, il voulait dormir, parce qu’il était revenu de la campagne très fatigué. Mais lorsqu’arriva l’heure du lever, il lui sembla être au milieu d’un concert céleste, où l’on chantait

  1. Sur cette querelle de l’Immaculée Conception, cf. J.-V. Le Clerc, Discours sur l’état des Lettres au XIVe siècle, t. I, p. 378 et 411 ; — Schlosser, Zur Kenntniss der Künstlerische Uberlieferung im spätem Mittelalter, Vienne, 1902 ; — Mortier, Hist. des Maîtres Généraux, t. III, p. 616 et suiv. ; — Perdrizet. Étude sur le Speculum Humanae Salvationis, p. 30.
  2. L’auteur parle de lui-même à la troisième personne.