Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/330

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la question. Osons voir les choses en face. Ne rougissons pas pour Savonarole d’une intransigeance morale qui est celle des grands apôtres : Platon jette les poètes à la porte de sa république ; Rousseau foudroie le théâtre et le luxe ; et près de nous encore, n’avons-nous pas eu le spectacle admirable d’un Léon Tolstoï répudiant ses écrits, et concevant un type du beau d’où ses chefs-d’œuvre sont exclus ?

Le problème n’est pas de savoir si Savonarole avait ou non une esthétique, et s’il voulait que Saint-Marc devînt une école de peintres et de miniaturistes. Se faisait-il de l’art la même idée que la Renaissance, et lui accordait-il dans l’existence le rôle que son temps réclamait pour lui, et dont l’antiquité présentait le modèle ? Voilà tout le débat, et dans ces conditions la réponse n’est pas douteuse. Qu’on se rappelle les analyses du grand historien anglais J.-A. Symonds, et sa puissante formule, que la Renaissance est un siècle qui a conçu la vie en fonction de l’art, comme le siècle dernier la concevait en fonction de la science[1]. Toute la Renaissance, ses vices, ses grandeurs, ses succès, ses avortements, s’expliquent par cette idée dominante et cette préoccupation exclusive du beau. La guerre, l’amour, l’ambition, la politique, devinrent des exercices d’esthètes et de dilettantes. On entendait alors ce que c’est qu’un beau crime ; on admettait qu’il y eût de beaux assassinats. Je ne veux pas dire jusqu’où ce principe, mené aux dernières conséquences, peut conduire celui qui l’adopte pour règle. Mais le fait est que l’ « art pour l’art », son indépendance absolue, la valeur suprême de la forme, ce qu’un critique appelle l’ « indifférence

  1. Renaissance in Italy, t. III, The Fine Arts, nouv. édit., 1908, p. I et suiv. Cf. Burckhardt, Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. franç. 1885, t. I, l. III et IV.