Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/343

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complainte. Après quoi, les cercueils se referment et la procession s’ébranle, avec ses torches et ses bannières, en chantant le Miserere[1].

Ainsi, en pleine Renaissance, à l’aurore même du siècle d’or, à l’heure où Raphaël peint le Parnasse et la Galatée, où Sodoma compose les Noces d’Alexandre, où Titien inaugure ses visions enchantées, on pressent que ce charmant éclat ne durera pas jusqu’au soir. On s’attend à des revers et à des catastrophes. Nous nous faisons une idée fausse du calme de cet âge : la sécurité égoïste d’une poignée d’intellectuels n’a point gagné le peuple. Celui-ci reste en proie à de périodiques accès de pénitence. Dans les premiers mois de Léon X, douze Franciscains se mirent à parcourir l’Italie. Leurs prédications terrorisaient les foules : l’un d’eux, Frà Francesco da Montepulciano, mourut subitement après un de ses sermons : Florence entière défila pour baiser ses pieds nus[2]. Douze ans plus tard, elle proclama la République du Christ. À Ferrare, la maison d’Este employait la piété comme moyen de gouvernement. Elle faisait venir, comme un palladium vivant, une sainte en chair et en os, la sœur Colombe de Rieti. Un courrier officiel alla la chercher à Viterbe. Le duc Hercule se porta lui-même à sa rencontre et la conduisit au couvent préparé pour la recevoir[3].

  1. Vasari, Vie de Piero di Cosimo, Opere, t. IV, p. 135 et suiv. On notera que Piero machina toute la fête en grand secret dans une salle de Sainte-Marie-Nouvelle. Qui sait si le programme de ce carnaval macabre n’est pas une idée de moine ? La belle chanson d’AIamanni :
    Fummo giá come voi siete,
    Voi sarete come noi ;
    Morti siam, come vedete,
    Cosi morti vedrem voi,
    est publiée par P. Vigo, Le danze macabre initalia, Bergame, 1901, p. 117. Le Diario de San Gallo décrit un ballet de l’Enfer, donné le 16 février 1510, ibid., p. 75 ; d’Ancona, Origini, Florence. 1877, t. I, p. 273.
  2. Jac. Pitti, Storia Fiorentina, l. II, p. 112. Cité par Burckhardt, Civilisat. en Italie, t. II, p. 244.
  3. Burckhardt, loc. cit., p. 265.