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la Renaissance. Ils n’ont pas goûté, dirait-on, au fruit de l’arbre de la science. Ce sont les petites villes des contreforts des Alpes, Brescia ou Bergame, qui nourrissent ces beaux talents, et qui en gardent le secret.

Tel est, par exemple, le grand peintre Moretto de Brescia, qui se plaît aux lumières fines et aux harmonies argentées, et qui repose dans l’église dominicaine de Saint-Clément, après en avoir décoré de sa main tous les autels. Sa vie, aussi claire que son œuvre, révèle la sensibilité la plus noble. Sa maison était un asile et un orphelinat. Il avait recueilli de vieilles femmes impotentes et des fillettes en bas âge, et le travail de ce vieux garçon passait tout entier à donner la becquée à tout ce petit monde. Quand les idées ne venaient pas et qu’il ne faisait rien de bon, c’est qu’il ne se croyait pas la conscience nette ; il commençait par se remettre en grâce avec le bon Dieu, se confessait, communiait, et il est rare qu’il ne retrouvât pas toute sa fraîcheur de pensée. C’est ainsi qu’il peignit la bannière de la Vierge qu’on montre dans l’église de Paitone. Il ne pouvait trouver pour elle de lignes assez belles. La Vierge lui apparut en songe, et l’artiste, au réveil, la reproduisit de souvenir, presque d’après nature. Quand il voulait la revoir, il n’avait qu’à fermer les yeux[1].

Un autre peintre, plus nomade, plus inquiet, et peut-être plus séduisant encore, est l’étrange bergamasque Lorenzo Lotto. Vous pouvez juger de lui au Louvre : son tableau de la Femme adultère, avec un peu d’encombrement, est une merveille de tendresse. Une autre peinture, à Milan, porte au revers cette inscription : « Ce Crucifix fut fait pendant la Semaine sainte, et terminé le vendredi, à 3 heures, à l’instant où le Christ

  1. Molmenti, Il Moretto da Brescia, Florence, 1898 ; Rio, l’Art chrétien, 1874, t. III, p. 258 et suiv.