Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/360

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rendit le dernier soupir »[1]. Une telle peinture a la valeur d’une oraison, un sens intime, lyrique, la poésie d’une effusion et d’un acte d’amour. L’œuvre de Lotto est par là une des plus curieuses de son temps, non la plus parfaite, il s’en faut, mais peut-être la plus moderne, la plus individuelle. Elle reflète tous les troubles, toutes les incertitudes, tous les doutes de son âme. Ces faiblesses mêmes nous la rendent chère. Nul n’a mieux exprimé ce moment d’inquiétude religieuse[2]. Il cherchait le repos en peignant pour des églises calmantes, surtout des églises de Mendiants, Franciscains ou Dominicains. Après avoir de la sorte erré un peu partout dans la marche d’Ancône, à Recanati, à Jesi, à Ponteranica, et avoir vécu à Mantoue, à Parme, à Bergame, à Rome et à Venise, ce maître agité et charmant alla s’endormir à Lorette auprès de la petite maison apportée par les anges.

Lotto est compris d’ordinaire dans l’école vénitienne, et il en incarne en effet un des aspects les moins connus et les plus importants. C’est un lieu commun, en critique, en histoire, que l’école vénitienne, parce qu’elle a su peindre comme nulle autre, est une école qui ne compte pas au point de vue des idées. Sous prétexte que la couleur est la matière de la peinture, il règne sur l’art vénitien le soupçon invétéré d’une vague infériorité morale. On dirait qu’il n’existe pour l’art qu’un

  1. Berenson, Lorenzo Lotto, an essay in constructive art criticism, New-York, 1895 : 2e édit., 1905, p. 206. Cf. Frizzoni, Lorenzo Lotto pittore, dans l’Archiv. storico dell’Arte, t. IX, p. 195, 427 (1896). Le tableau en question se trouve dans la collection Borromée ; il représente le crucifix cantonné des Arma Christi (voir plus haut, VIIe leçon). — Consulter encore Gianuizzi, Libro dei Conti di Lorenzo Lotto, dans les Gallerie nazionali italiane, t. I, Rome, 1894 ; Rio, loc. cit., p. 238 et suiv.
  2. Par exemple, en 1540, Lotto alors à Venise, eut à peindre pour un ami, sans doute d’après quelque modèle de Cranach, le portrait des Luther. Berenson, loc. cit., p. 269. Ce critique paraît toutefois se méprendre sur les sympathies protestantes de Lotto : il en donne pour preuve le magnifique retable de S. Domenico à Cingoli (1539) ; le sujet, qu’il n’a pas compris, est une Madone du Rosaire. Cf. loc. cit., p. 208, 270.