Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/405

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racines que partout ailleurs. C’est de là que sortent quelques-uns de leurs plus grands prédicateurs : un Raymond de Peynafort, un saint Vincent Ferrier. Leur méthode édifiante, leur réalisme mystique, formulé définitivement dans les Exercices de saint Ignace, sont là-bas des choses de terroir, inhérentes à l’imagination de la race. L’Espagne est la patrie classique du naturalisme, du roman vrai, de la « nouvelle », de la « tranche de vie » brutale et servie crue, faite pour donner laconiquement la plus forte secousse et la plus électrique commotion des nerfs. Nulle école n’a poussé plus loin la recherche de l’émotion et l’imitation pathétique de la vie, ni ne s’est moins souciée de l’art des professeurs. Le mot de Lope : « Les règles, quand j’écris, je les serre sous sept clefs », est un mot national. Il faut voir leurs sculptures, leur musée de Valladolid, leurs Madones enfouies dans de vraies robes comme des poupées, leurs Christs de bois polychrome, férocement tatoués et bigarrés de sang : celui de Burgos est d’une vérité si terrible, qu’on le dit fabriqué d’une peau humaine empaillée.

On déclame sur la contrainte où vivaient les peintres espagnols, sur l’atmosphère asphyxiante qui a été la leur : on les plaint de n’avoir pu dire et peindre ce qu’ils voulaient. Quelle niaiserie ! Tous ces artistes étaient des hommes très pieux ; beaucoup sont moines ou prêtres ; la plupart n’ont pas fait une seule peinture profane, et rien ne nous donne à croire qu’il leur en ait coûté. Jamais souci bourgeois n’a effleuré leur âme. L’un d’eux avait au pied de son lit un cercueil, et souvent s’y couchait pour rêver au dernier sommeil. Il est vrai que ces peintres sont soumis à la surveillance des familiers de l’Inquisition ; il est vrai qu’ils n’ont le droit de presque rien imaginer : chacun de leurs tableaux est dicté et prescrit d’avance ; chaque détail est déterminé par une tradition,