Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/42

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peu « russe », très irrationnelle, qu’on voit sortir alors des entrailles de la chrétienté. Le monde pousse cet immense soupir. On entend proférer comme un bruit de sanglots. Tarie, glacée depuis des siècles, la source sacrée, la source des larmes, commence à palpiter. Le genre humain blessé, ravi, se souvient qu’il avait un cœur. De toutes parts, on devine qu’une nouvelle ère s’inaugure. Les voyantes, sainte Hildegarde, Élisabeth de Schönau, prédisent la prochaine aurore. Jamais le monde n’a paru en proie à une telle fièvre religieuse : les fondations se multiplient. Vallombreuse, Grandmont, la Chartreuse, Cîteaux, s’échelonnent dans les quarante dernières années du XIe siècle, suivis par Fontevrault, les Prémontrés et Sempringham dans les quarante années suivantes ; la fin du siècle voit un redoublement d’activité : coup sur coup, en quelques années, se fondent les Trinitaires, les Carmes, les Mercédaires, les Servites. Cela ne suffit pas encore : cent mouvements hétérogènes, Cathares, Patarins, Vaudois ou Albigeois, parcourent et agitent la société chrétienne.

Sans doute, dans ces accès tumultueux, fébriles, les limites de l’orthodoxie sont bientôt dépassées. Le noble instinct de sacrifice, de purification, arrive rapidement aux chimères les plus dangereuses. La doctrine du renoncement, comme unique philosophie, dégénère aisément en un pessimisme lugubre ; elle se change en une négation haineuse de la vie. L’existence apparaît alors comme un péché. On se figure le monde comme une œuvre mauvaise, création monstrueuse du génie des ténèbres, rêve hideux dont le grand but humain consiste à se délivrer. Le vouloir-vivre collabore à cette erreur néfaste et en prolonge la durée. Le « parfait » saura s’affranchir du piège de la vie. Il ne sera pas complice de l’œuvre inexpiable. Il refusera d’ajouter au mal universel. Il éteindra