Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/77

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n’existe pas. » Voilà toute la question, et encore une fois je ne décide point. Si j’osais, je vous dirais que je suis sur cela du sentiment de la Vénitienne. Ce n’était qu’une courtisane, mais elle se connaissait aux choses de l’amour. Jean-Jacques était chez elle et lui faisait des théories ; elle ne comprenait pas où il voulait en venir ; enfin, « Zanetto, lui dit-elle, lascia le donne e studia la matemmatica. » Si vous ne comprenez pas la beauté toute simple, celle qui parle au cœur, ne touchez pas à l’art, faites plutôt des mathématiques.

Ce n’est pas là seulement que s’arrêtent les critiques. On accuse ces églises de n’être pas chrétiennes. C’était l’idée de Taine, et vous connaissez la belle page du Voyage en Italie, où il oppose au paganisme foncier des Italiens le mysticisme des races du Nord.

Jamais je ne pourrai admettre que les églises de Rome soient chrétiennes… Que de fois, par contraste, j’ai pensé à nos églises gothiques, — Reims, Chartres, Paris, Strasbourg surtout ! J’avais revu Strasbourg trois mois auparavant, et j’avais passé un après-midi seul dans son énorme vaisseau noyé d’ombre. Un jour étrange, une sorte de pourpre ténébreuse et mouvante, mourait dans la noirceur insondable…

Comme ces barbares du moyen âge ont senti le contraste des jours et des ombres ! Que de Rembrandt il y a eu parmi les maçons qui ont préparé ces ondoiements mystérieux des ténèbres et des lueurs ! Comme il est vrai de dire que l’art n’est qu’expression, qu’il s’agit avant tout d’avoir une âme, qu’un temple n’est pas un amas de pierres ou une combinaison de formes, mais d’abord et uniquement une religion qui parle ! Cette cathédrale parlait tout entière aux yeux, dès le premier regard, au premier venu, à un pauvre bûcheron des Vosges ou de la Forêt-Noire, demi-brute engourdie et machinale, dont nul raisonnement n’eût pu percer la lourde enveloppe, mais que sa misérable vie au milieu des neiges, sa solitude dans sa chaumine, ses rêves