Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/96

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supposer que le portrait remonte à une date antérieure[1]. Ce portrait se trouve là comme celui de Grégoire IX, le pape élu cette année même, et qui, bien qu’octogénaire, se trouve figuré dans la force de l’âge, en habit de cardinal, tel qu’il venait naguère encore faire au fameux couvent des retraites assidues. Les moines profitèrent de cette occasion, — l’exaltation de l’un, la canonisation de l’autre, — pour s’honorer eux-mêmes du souvenir de deux hôtes unis par l’amitié, et qui étaient deux habitués illustres de Subiaco. Ce sont des portraits rétrospectifs ou commémoratifs, et c’est ce qui explique les singularités dont j’ai parlé plus haut.

Il suffit de se reporter à un portrait écrit de saint François, par exemple au signalement très détaillé de Celano (fait certainement d’après nature et sur des notes minutieuses), pour observer que beaucoup de traits ne se correspondent pas. Il faut l’avouer : une « étude », au sens moderne du mot, avec toute sa richesse de signification, son contenu individuel, sa rigueur de définition, un portrait de Dürer ou d’Holbein, est une chose dont le moyen âge n’avait aucune idée.

Dans la Vita nuova de Dante se lit un passage célèbre, dont Rossetti a fait un de ses charmants tableaux. Le poète raconte que, le jour anniversaire de la mort de Béatrice, il songeait à sa bien-aimée ; il cherchait à retrouver ses traits, il esquissait son beau visage, et voici que sous ses doigts naissait une figure d’ange. Voilà le génie du moyen âge : cette métamorphose, il la fait subir, malgré lui, à tout ce qu’il a touché. Nulle pensée plus idéaliste que la sienne. Dans chaque être, il n’a jamais vu qu’une formule absolue, la loi où il se réduit et dont les faits dépendent. Aucun art plus naturellement

  1. Cf. F. Hermanin, Le pitture dei monasteri sublacensi, Rome, 1904.