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centrale un grimoire confus d’ombres chinoises lilliputiennes. Ce ne sont que des curiosités. Hormis une lueur isolée, qui dissipe une seconde la brume des formules et s’évanouit aussitôt, rien, on le voit, n’avait pu rendre une flamme de vie à cette école moribonde. L’esprit de saint François échouait à ranimer cet art de troisième main. C’est d’un autre côté que devait venir la Renaissance[1].


II


En 1288, soixante ans après le portrait de Subiaco, le premier pape franciscain, Nicolas IV, montait dans la

  1. M. Thode (t. I, p. 112, je cite toujours la traduction française) cherche à prouver qu’il n’en est rien, et il rappelle le passage de Wadding (t. I, p. 156) où il est dit que saint François avait fait peindre sur la façade d’une chapelle une suite d’exhortations ou d’exclamations formant une sorte de psaume comme le Cantique des Trois enfants. C’était une première ébauche du Cantique du Soleil : était-ce bien de la « peinture » ? Il en est de ce raisonnement comme de celui du même auteur concernant le prétendu « style » de saint François en architecture (IIe leçon, p. 46) ; c’est une subtilité gratuite et superflue. Il faut s’y résigner : jamais saint François ne s’est préoccupé de l’art, sinon pour y voir une « vanité » et une forme condamnable et païenne du luxe.

    Dira-t-on qu’il y avait en lui, et même à son insu, une puissance poétique, une magie capable de se communiquer et de galvaniser un art à l’agonie ? Peut-on supposer que l’esprit du Cantique du Soleil a pu se transmettre par rayonnement et susciter, malgré François, des artistes autour de lui ? Je ne le crois pas, et en voici la preuve. La mosaïque de la tribune du baptistère de Florence fut exécutée en 1225, un an avant la mort du saint, par un religieux franciscain, le frère Jacopo, qui nous l’apprend dans une longue inscription à la mode du temps :

    sancti francisci frater fecit hoc operatvs
    iacobvs in tali prae cunctis arte probatvs

    Si un artiste devait avoir l’âme franciscaine, c’est celui-là : il était à la source. Son œuvre n’est pourtant qu’une page très ordinaire, où l’on perdrait son temps à chercher du nouveau. Je le répète : l’immense importance artistique de François ne réside ni dans son esprit, qui est contraire à l’art, ni dans ses idées, qui le condamnent ; ce n’est pas une question de sentiment ni de doctrine, c’est une question de fait sur laquelle on ne peut se tromper. Saint François est l’homme aux stigmates, et c’est de là que lui vient toute sa valeur au moyen âge.