Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/137

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le monde. Pauvre petite fourmi ! Elle me donne du courage, m’enseigne la vanité de nos aspirations. Je prends un temps, et adresse à Colette d’aimables sourcils étonnés, et un petit rire poli, un petit rire de deux notes, doucement scandalisé.

— Oh ! je savais que vous seriez choquée… je vous le dis pour la drôlerie. Mais j’ai eu vraiment peur… Eh bien, ma chère, je l’ai su après, il faisait tout simplement de la neurasthénie… un accès, comme cela… Après, je n’ai plus été jalouse. Pas même de vous, ma pauvre Jeanne !

Colette rit, les yeux pailletés, tout petits. Et le bout de son ombrelle, négligemment gratte le sol, atteint, renverse, écrase la petite fourmi affairée. Elle se débat dans une agonie furieuse, roule et bondit dans la poussière soulevée.

— Vraiment, Colette, vous avez des idées…

Mais, comme distraitement, je saisis l’ombrelle meurtrière, je l’écarte de la petite victime entêtée de vivre, qui déjà se traîne, l’arrière-train brisé, reprenant son chemin…

Maintenant je pâlis.

Colette s’en va, onduleuse dans le sobre costume de guerre, les cheveux roussis à point et ondés, le soupçon de rouge et de blanc effaçant la flétrissure légère de son fin visage.

Colette, femme de Jean, pardonnez-moi !