Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/188

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— Jean va entrer là !

L’heure passait. Mon feu s’éteignait, ma vieille lampe baissait. Je restais debout, le manteau aux épaules. Et une désolation me prenait, une onde d’âpre chagrin d’enfant déçu.

Enfin, Jean sonna, entra rapidement, en veston, le visage fatigué :

— Jeanne, pouvez-vous m’excuser ? J’ai été retenu. Je n’ai pu vous téléphoner. J’en suis au regret.

Le plaisir de le voir me montait à la tête. Je m’offris le plaisir neuf de lui faire une scène, de bouder, de lui crier des reproches. J’étais grisée de la joie de me fâcher contre lui. Et je me donnais, je lui donnais une nouvelle part de moi, la part secrète de nos défauts.

Il le comprit, il m’écouta immobile, les yeux baissés, la main cachant sa figure.

Enfin, il l’enleva, il dit à voix basse, d’une voix d’homme ébloui et reconnaissant :

— Jeanne chérie…



Jean au piano. Est-ce son visage, si mince, comme une flamme, ou son jeu nerveux, tendu, qui m’angoisse ainsi ? J’appelle son nom, dans