Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

bousculade, de petits blessés, des vrais, ceux qu’il faut panser…

De quels soins on les martyrisa, les pauvres gas abandonnés à leurs petites mains fiévreuses…

Avant, au début, pendant que s’enrôlaient leurs amis et leurs frères au milieu d’une galopade excitée de jeunes recrues glorieuses, de bandes tristes de chevaux mobilisés, d’une foule en goguette, badaude, piétinante, quand la panique tout d’un coup s’empara de la ville quiète, elles s’étaient affolées aussi, perdant la tête, pâles, à peine coiffées, courant les meuneries, dévalisant les épiceries, mettant au saloir des porcs entiers, faisant craquer leurs greniers sous le poids des provisions entassées, dans leur terreur d’une immédiate famine ; elles couraient, cachant, enterrant, murant, recueillant et semant autour d’elles l’agitation. Et puis, les grandes croix rouges s’étaient montrées aux fenêtres, tendant la ville du signe divin et sanglant de la pitié : elles s’étaient reprises de suite, comme attirées par les grands bras charitables de la croix, éblouies du sang qu’elles allaient étancher, zélées, ardentes, oubliant leurs terreurs, tout à leur rôle neuf, captivées, inconscientes de tout le reste, héroïques et splendidement enfantines.

Et tandis qu’au loin gronde et menace l’ouragan,