Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/28

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sont là, atterrées et maladroites. Un petit soldat râle, rouge, étouffé par la pneumonie. Un autre répète deux mots, entre deux souffles : « Eux venaient… Eux venaient… Eux venaient… » Une atmosphère tragique enveloppe l’infirmerie coquette, si amateur, faite en joujou, et l’écrase de solennité. « Eux venaient… Eux venaient… » Il y a des vides, déjà, parmi le personnel : la petite Davilla manque, elle est veuve depuis tantôt… Les deux Trènes sont parties en coup de vent, affolées, elles font leurs malles…

— Cela ne va pas, là-bas.

On se le répète tout bas, on le dit par le mouvement des lèvres, par la fixité des yeux, tandis que traînent ironiquement les journaux aux manchettes mirifiques : « La situation reste excellente… » La panique torture déjà quelques masques tandis que d’autres s’ennoblissent de sérénité. Nine est arrêtée près de la table où s’accoude son blessé. Il lève le front, et elle se laisse prendre par son regard comme par une étreinte, les yeux baissés, serrée dans son mystérieux voile de volupté. L’approche terrible de l’ouragan, le vent de terreur et de désolation l’effleurent à peine : elle est distraite, perdue dans cette adoration des femmes pour l’amour qu’elles inspirent, attirée par lui, rôdant dans sa zone brûlante.