Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

telles des coussins… Et une angoisse terrible lui vient de continuer la scène, de tomber, en brutal, sur cette main innocente…

Cependant, Nine déploie ses grâces, heureuse de montrer enfin à cet homme qui l’admire, ses cheveux, ses épaules, la souplesse de sa taille, le décousu brillant de ses phrases. Elle le taquine, l’aiguillonne, le harcèle, amusée et énervée du jeu, guettant la lueur monter aux yeux farouches.

— Voyons, dites-le, vous ne me reconnaissez plus… vous aimez mieux l’autre, celle en cornette…

Il répond. Le dédoublement continue, fait virer son cerveau, et pourtant il parle, prenant refuge dans la banalité qu’appellent ces banales agaceries. Car elle l’agace, par habitude, comme elle doit agacer tous les hommes. Et il la pousse au jeu, par âpre besoin de se crucifier. Nine se raconte, jouissant de se givrer de perversité, de se substituer à sa figure d’énigme troublante et insalubre. Elle silhouette son milieu, milieu de plaisir et d’élégance ; ses amies, oisives, capricieuses ; elle sous-entend des poursuites d’hommes affolés, une meute derrière ses petits pas traqués ; elle fait palpiter l’atmosphère de toute cette galanterie latente, laissant en question effacée et angoissante son attitude, ses réponses ; elle nomme son mari, d’un petit serrement de lèvres, voile son regard