Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et parce qu’il a peur d’éclater en cris, en affreuses larmes, en violences, il baise encore ses lèvres, pour s’étouffer.

Nine proteste des deux mains :

— Il ne faut pas… Il ne faut pas…

Il se laisse repousser.

— Mais voyons… voyons donc… Mon ami…

Sa défense même, si molle, si complaisamment conventionnelle, achève l’écroulement. Il balbutie :

— Pardon. Pardon, Madame.

Il sent qu’il va gémir. L’abjection de la scène l’emplit de nausée. Il est secoué d’un tremblement qu’elle remarque, attendrie.

— Je suis un goujat. Je vais partir.

Il n’écoute plus les mots de reproche ou de pardon qu’elle murmure. Ses paroles, son attitude lui sont indifférentes, il n’en a pas de curiosité. Il ne la regarde plus, il ne la touche plus. Il se sent déjà loin d’elle, il la laisse là, à l’autre, aux autres, à ceux qui en veulent.

Et tout d’un coup, éclatante, la gloire des combats qu’il a quittés, oubliés pour cette chair de poupée, l’éblouit. Le grand nimbe éclairant la patrie en détresse, fait de toutes ces bravoures, de toutes ces vies données, l’appelle à nouveau, de son robuste cri d’amour.

— Je viens…