Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/63

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vide de cette bande de ménages équivoques et narquois où Patrice m’avait lancée pour trouver là les femmes expertes en correction et savantes en perversité qui convenaient à son palais fatigué, à ses papilles tiédies, à son vieux regard tout flétri de souvenirs. Ma jeunesse éclatante, après l’avoir un instant ranimé, lui faisait horreur, comme un clair soleil sur sa peau ridée. J’étais, près de ce mari blanchi, aux ongles carminés, poudré aux joues comme une femme, la bouffée de vent du large que craint le grabataire frissonnant dans son artificielle chaleur. Et, tu sais, éblouie un instant par le prestige de son nom, l’élégance de ses froides prunelles et de son corps efféminé aux vêtements magnifiques, il ne m’en restait bientôt plus rien, pas même de l’aversion, rien qu’un grand rire à me l’imaginer rebâti chaque matin par Arthur, l’ingénieux et fourbe valet de chambre. Sa vieillesse aiguisait l’insolence de ma jeunesse ; il m’avait à peine dérangée de me regarder vivre : je me regardais vivre gaiement, comme on écoute, en dansant, une musique de fête ; mon âme vierge, mon corps souple suffisaient à ma joie. Et puis, tu t’es mis à m’aimer. Nous avons tous les deux dansé, en écoutant bruire et chanter nos vies. Nous avons joué ensemble, et couru ensemble, et crié ensemble, dans le besoin animal d’aller