Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/85

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éternelle. Un ciel vert, délicat, encadre la mer toute blanche. Et voici que là-bas, dans l’eau éclatante, un point noir apparaît, comme un bouchon qui danse.

— Un marsouin, dit Victor.

— Allons voir, fait Céline.

Elle secoue ses jupons d’où s’envole le sable. Ils courent, bras-dessus bras-dessous, sur la plage violette qui porte l’eau pâle comme une jupe de satin haut troussée. Leurs pieds, sur le sable uni, marquent deux traces parallèles, comme de puérils dessins d’enfants.

— C’est une bûche, dit Céline.

— C’est un fagot, dit Victor.

— C’est un tonneau.

— C’est une épave.

L’épave roule, vomie et ravalée par la vague. L’eau joue avec elle, la jette au loin comme un enfant jette une balle, puis, pressée, court à elle, la rattrape, s’enfuit, revient, maternelle, en la tenant dans ses bras. Elle la caresse, la cajole, la baise et la lèche d’une longue langue avide et distraite, puis, dégoûtée d’elle, l’abandonne, à demi enlisée dans le sable vaseux. Là, brusquement ravisée, d’un dernier effort, elle la soulève, prompte à s’en débarrasser, et roulant sur elle-même, titubante, la porte, avec un flot d’écume,