L’ÉTRANGER
Conte de Noël
phalange dispersée… »
Femme, dit le fermier, le vieux Durant, Jean-Pierre,
« Hélas ! dans quelques jours, ce pauvre coin de terre
« Où nous peinons tous deux depuis de bien longs ans,
« Ce sol sera l’acquis de nouveaux paysans.
« Il faudra, malgré nous, dire un adieu suprême
« À tout ce qui fut nôtre, à tout ce bien qu’on aime ;
« Car demain ne pouvant solder notre paiement,
« Comme un oiseau de proie, Euclide Duferment,
« Euclide, le prêteur, sans soucis de notre âge,
« Nous sommes de partir sans nul autre partage ! » —
L’âme toute meurtrie et le cœur peu dispos,
Gémissante, l’épouse écoutait ces propos,
Et de ses yeux rêveurs, s’échappaient — triste baume —
Sur son visage pâle ainsi qu’un blanc fantôme,
Intarissables, lourds, d’amers et cuisants pleurs
Que de ses maigres doigts jadis si travailleurs
Elle pouvait à peine écraser sur sa joue
Où ne se comptaient plus — mais que le temps avoue —
Les rides comme autant de sillons réguliers,
Trace le laboureur par ses champs familiers.
« Certes, c’était pourtant ce que le plus au monde
« Nous aimâmes toujours d’une amitié profonde
« Après les cinq enfants que nous a donnés Dieu,
« Ce qui nous reste, hélas ! pour soutien au milieu
« De nos peines, de nos adversités sans nombre,
« Ce sont leur souvenir où se mêle un peu d’ombre,
« Et cette croix de bois dont les bras grands ouverts