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Page:Gingras - Les Guérêts en fleurs, poèmes du terroir, 1925.djvu/176

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LES GUÉRÊTS EN FLEURS

« Indiquent tristement sous quelque cyprès verts
« L’humble seuil de granit défendant leur demeure,
« Où nous venons prier le dimanche, à toute heure. »

« Ami, reprit l’épouse, as-tu donc oublié
« Jacques, le fils aîné… ? As-tu donc spolié
« Son souvenir, au point de te jurer sans cesse
« Qu’il ne reviendra plus égayer ta vieillesse… ?
« Ah ! gémit le fermier, c’est tel un chaud levain
« Que l’oubli dans mon cœur est venu, mais en vain,
« Tenter l’en déloger. Toujours, je me retrace
« À l’esprit, celui-là seul qui peut de ma race
« Étendre les rameaux jusqu’au soleil couchant
« Qui doit me réchauffer, moi, vieil arbre penchant ! » —

« Souventes fois, j’y pense et pleure et me tourmente !
« Pourquoi n’écrit-il pas… ? Un présage me hante
« Et me dit que, là-bas, perdu sous d’autres cieux,
« L’or a pris notre place en son cœur oublieux !
« Qu’ainsi soit le destin puisque la Providence
« Daigne, à tant d’autres maux, unir cette évidence.
« Mais si, juste tribut, je me dois au trépas,
« Que mon oreille un jour puisse, au bruit de ses pas,
« L’écouter revenir par cette nuit fatale
« Où, pour coudre, j’aurai notre terre natale… ! » —

« Cessons nos larmes, femme, on fête la Noël
« Et voici bientôt l’heure où les anges au ciel
« Chanteront de l’Enfant-Divin l’humble naissance.
« Dans l’âtre où la chaleur fait sentir son absence
« Déposons un fagot, — peut-être le dernier —
« Et si tu veux, ma Lise, ensemble allons prier
« Pour que le Sauveur né dans une pauvre étable,
« Rende à l’enfant ingrat cette âme charitable
« Que nous lui connaissions avant que le Brézil
« De son leurre le berce et le jette en exil. » —