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GRIGOU


CONTE


C’est tout son nom… ! Vient-il de Lévis ou de Beauce… ?
Énigme… ! Ce midi, sur le bord du chemin
Que longe un ruisselet étroit comme une fosse,
Terreux, la barbe longue, un lourd bâton en main,
Il est venu s’asseoir. Déposant sa besace
À ses côtés, il a d’un brusque mouvement
Rejeté son vieux feutre en arrière, et la face
Au soleil, s’est couché dans l’herbe lentement.
Où va-t-il… ! Grigou même, à nul ne saurait dire
Quel caprice l’amène ici plus que là-bas !
Pourquoi cet humble endroit plus qu’un autre l’attire
Pourquoi de préférence y traîne-t-il ses pas !
Est-ce pour un moment, une heure, une journée… ?
Et qu’importe après tout puisqu’il en est ainsi… !
Puisque nul être humain ne sait sa destinée,
Pourquoi, lui de la sienne aurait-il le souci… ?
Possède-t-il un nom, un gîte, une patrie… ?
N’est-il pas un enfant expiant de l’amour
La faute dont son âme est aujourd’hui meurtrie… ?
N’est-il pas un proscrit, par la voix du retour
Incessamment traqué comme une affreuse bête… ?
N’est-il pas un savant, un sorcier, quelque fou… ?
S’il n’est rien de ceci, c’est sans doute un poète,
Car il est affublé de tout cela, Grigou… !
Il ne possède rien que son triste visage.
Quelques haillons pouilleux lui font un traversin.
Voilà le trésor que de village en village,
Traîne l’infortuné sans honte et sans dessein.
Que de fois sur son compte on a dit des histoires !
De l’un forçat connu, de l’autre grand seigneur,
Il demeure en un mot de ces faits peu notoires,
Qu’un trait de vérité : celui de son malheur…