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Page:Gingras - Les Guérêts en fleurs, poèmes du terroir, 1925.djvu/180

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LES GUÉRÊTS EN FLEURS

II

Au loin, un chien aboie.
Hargneux, Grigou s’éveille.
De terre et de cailloux il construit un fourneau.
Et, jetant les débris d’une croûte la veille
Soustrait à l’œil mauvais d’un autre chemineau,
Il fait sa soupe et chante.
Il chante un air étrange
Où perce, dirait-on, un idiome inconnu ;
Puis un refrain grivois qua sa guise il arrange,
Tout en veillant aux soins de son triste menu.
Ayant mangé, Grigou, du revers de sa manche,
Fait geste d’essuyer son gros menton barbu ;
Mais, soudain, tout-là-bas, la cloche du dimanche
Dit son joyeux appel du village entendu,
Car par les prés en fleurs, comme à quelque kermesse,
Un groupe d’enfants blonds, des aïeules, aïeux,
S’en vont émus de joie assister à la messe.
Grigou prête l’oreille à cette voix des cieux.
Et, sa main qui devait s’arrêter à sa bouche,
Monte jusqu’à son front et descend à son cœur
Que d’un signe de croix gravement il attouche,
Sans qu’aux lèvres lui vint un sourire moqueur.
L’homme a gémi.
Du fond de son regard humide
Un voile de douleur, soudain, s’est déchiré.
Laissant de son cœur las, comme d’un puits limpide,
Se refléter l’oubli dont il est torturé.
Tout son être est en proie au combat qui le hante
Et sans répit l’assiège. « Allons, sombre passant,
« Toi qui point ne s’arrête et que rien n’épouvante,
« Sois courageux et fort. » dit-il en pâlissant.
Et le voilà suivant ces gens de la campagne