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L’ANTIGONE DE SOPHOCLE

tre une loi particulière et accidentelle la loi générale, invariable, éternellement vivante, la loi non écrite de la nature, dont tous les hommes ont toujours, sans aucune convention, reconnu instinctivement la justice ; mais écoutons Hegel : les paroles d’Antigone et sa lutte contre Créon lui fournissent à la fois un admirable exemple d’une phase sociale de l’humanité et le type supérieur de la tragédie.

Voici, à peu près sous leur forme native, les bases de la théorie sociale, où l’héroïne de Sophocle doit avoir sa place. Elles consistent dans la distinction et l’opposition essentielles des deux sexes. « L’un est l’esprit se dédoublant dans son indépendance personnelle et dans la conscience et la volonté de la libre généralité ; l’autre, l’esprit se maintenant dans l’unité comme conscience et volonté du substantiel et sous la forme de la particularité et de la sensibilité concrètes. » En d’autres termes, la libre nature de l’homme et son énergie intelligente le portent à sortir de soi, à concevoir le général, à le réaliser ; la femme, au contraire, s’enferme dans son existence particulière, s’y attache volontairement, et y concentre sa passion sur des objets sensibles. Ces objets sensibles lui sont fournis par la famille, et le sentiment pour lequel la femme est particulièrement faite, c’est la piété. Dans la famille et dans l’ordre de sentiments qui